Il y a deux ans, Sophielit.ca sortait pour la première fois officiellement de sa tannière pour aller rencontrer les auteurs (des vrais, oui, oui) à la Fête du Livre Jeunesse de Longueuil. Gênée, mais rassurée par l'ambiance intimiste du Salon, j'avais fait de belles découvertes. J'ai donc réitéré l'expérience l'an passé avec bonheur, produisant même des capsules vidéos avec les auteurs, hyper accessibles dans cet endroit où le jeune public est choyé. Toutefois, une question me restait en tête. Qui était derrière cette chouette initiative? Et comment le tout a débuté? Convaincue que certains se posent aussi la question, j'ai pris contact avec Brigitte Lépine, présidente de l'événement. Voici notre entretien !
Comment êtes-vous devenue présidente de cette Fête de la lecture et du livre jeunesse?
En 1999, un consortium d’organismes de Longueuil, nommé « Pour une communauté de lecture à Longueuil » a reçu un financement de 4 ministères (l’Éducation, l’Enfance, la Santé et Services sociaux et la Culture et Communications) dans le cadre de la Politique du livre et de la lecture du gouvernement de l’époque. Comme employée au Regroupement des centres de la petite enfance de la Montérégie, ma directrice, connaissant mon amour pour les livres, m’a déléguée pour siéger à ce comité dont le mandat était de créer et de soutenir la mise en place d’activités d’éveil à la lecture et à l’écriture (ÉLÉ). L’une des activités mises en place était la création d’une Fête du livre et de la lecture.
Devenue par la suite une corporation en bonne et due forme, la Fête s’est dotée d’un conseil d’administration qui travaille depuis ce temps-là à rendre l’activité autonome et pérenne, et à la déployer le plus largement possible. Ainsi, après quelques années comme administratrice, les autres membres du CA m’ont élue présidente. C’est un honneur évidemment, mais aussi, et surtout beaucoup de travail. Mon objectif personnel est de m’assurer que la Fête conserve son mandat et garde le cap sur ses objectifs de promotion de la lecture, de l'écriture et du livre jeunesse, principalement pour les familles de milieux vulnérables ou défavorisés.
Justement, le but premier de la Fête de la lecture et du livre jeunesse est de faire venir le livre en milieu défavorisé, d’où la gratuité du salon. Pensez-vous que vous réussissez à rejoindre ce public?
Lorsqu’on parle de « défavorisation », on pense nécessairement à la pauvreté financière, et c’est vrai. Mais seulement en partie, car on peut être défavorisé de plusieurs façons. En fait, le mandat de la Fête c’est de rejoindre tous les enfants et leurs familles, d’une manière ou d’une autre, à l’une ou l’autre des activités que nous organisons. Ainsi, si l’on pense à une famille de nouveaux arrivants, ce qui peut la rendre vulnérable c’est la langue, la religion, la différence, la ségrégation. Ils sont riches d’une culture ou d’une langue différentes à la nôtre, mais cela fait souvent d’eux des personnes isolées.
Par le livre, on peut les intégrer à notre culture et à leur nouvelle communauté; on peut favoriser la communication entre nous ! On peut aussi penser à des gens monétairement favorisés, mais qui n’aiment pas la lecture ou qui n’ont jamais considéré le livre et la lecture comme un plaisir. Les enfants de ces familles ne seront pas nécessairement attirés par la lecture et la magie des livres; il faut aussi savoir les inviter aux activités de la Fête. Le Salon du livre est gratuit, mais toutes les activités que nous proposons aux enfants du territoire le sont également. Il faut réussir à ce que les familles, toutes les familles, considèrent la lecture comme un plaisir tout autant que comme un outil de culture, d’éducation ou de création.
En plus de la Caravane et du Salon, la Fête coordonne des activités de création, afin de trouver des lieux et des occasions pour que l’écriture soit aussi un plaisir. Ainsi, des concours sont organisés pour tenter de toucher chaque groupe d’âge ou chaque milieu : les jeunes du primaire, les jeunes du secondaire, les auteurs professionnels ou amateurs, les parents de jeunes enfants ont tous l’occasion cette année d’écrire, de créer et d’être reconnus.
En quoi consiste la Caravane de la lecture?
La Caravane scolaire a été la toute première activité qu’a mise en œuvre la Fête de la lecture et du livre jeunesse sur le territoire. Il s’agit d’une véritable caravane; elle arrive le matin dans une école primaire de la commission scolaire Marie-Victorin où on y installe, dans son gymnase, des ateliers et des jeux reliés aux livres et à la lecture. Les jeunes sont invités à y passer une partie de la journée, à tour de rôle. Pendant ce temps, des auteurs ou illustrateurs pour la jeunesse rencontrent les élèves dans les classes. Puis, après une journée bien remplie, la caravane rassemble ses pénates et les déménage dans une autre école et ainsi, elle peut visiter une dizaine d’écoles chaque année. Parallèlement à cette Caravane scolaire, la Fête a mis en place une Caravane pour les CPE. Cette dernière se promène dans 9 milieux de garde chaque année et offre aux tout-petits une animation liée à la lecture ou au livre. Ces activités, gratuites, sont toujours très populaires auprès des écoles, des CPE et des enfants. Malheureusement, victimes de notre succès, mais sans financement adéquat, il nous impossible actuellement d’augmenter le nombre d’écoles et de CPE visités. Je dirais donc aux enseignantes et aux éducatrices d’être patientes et d’attendre leur tour; il saura bien arriver un jour!
En quoi est-ce important d’apporter les livres dans des milieux plus défavorisés? Quels sontleurs impacts?
« Lire » ouvre une fenêtre qui ouvre sur l’extérieur, sur les autres, et permet aux enfants qui se sentent exclus, pour toutes sortes de raison, de s’identifier à des personnages qui leur ressemblent. La vie, c’est aussi un bien long moment à traverser si l’on ne ressent aucun plaisir à le faire! La lecture offre un plaisir qu’il est très difficile de décrire parce que chaque lecteur le vit différemment, selon ses besoins, son âge, ses réalités. Lire est un acte solitaire, qui peut aussi se partager, s’apprendre, se développer. On peut lire en famille, entre amis, on peut en discuter, ou pas!
Comme Daniel Pennac l’a dit, et bien mieux que moi, on peut lire quand et où on veut, ce qu’on veut et comment on veut. Être capable de lire (déchiffrer les lettres et les mots), c’est une première chose qui s’apprend généralement à l’école. Puis, il faut apprendre à développer le « savoir-lire », c’est-à-dire apprendre à comprendre ce qu’on lit, à l’interpréter, à l’intégrer, à l’utiliser, à le jouer, à le vivre… « Savoir-lire » ça s’apprend au contact de personnes pour qui le livre signifie quelque chose d’important. La Fête de la lecture et du livre jeunesse veut jouer ce rôle auprès des jeunes de la communauté. Nous ne sommes pas les seuls à jouer ce rôle, mais plus il y a d’acteurs, plus les chances de contamination positive sont grandes!
Qu'est-ce que le Salon du Livre Jeunesse a de particulier?
Il s’agit d’un Salon exclusivement réservé aux livres pour la jeunesse. Ainsi, les jeunes qui y entrent y sont chez eux. Ils ont la chance de pouvoir aller où ils veulent, dans un environnement « humain », à échelle autant qu’en ambiance humaine. Actuellement, le Salon est ouvert 5 jours. Les trois premiers sont principalement réservés aux groupes scolaires, et la fin de semaine, on y accueille le grand public. Vous pouvez vous imaginer des centaines de familles, de poussettes, d’ados, de grands-parents, de jeunes parents. Tous, fébriles de découvrir une nouvelle histoire, un album coloré, un auteur aimé. Notre particularité est évidente, quand on regarde un peu : les parents accompagnent leur enfant au Salon, et non l’inverse. C’est un Salon pour l’enfant, pour le jeune. Combien de fois a-t-on vu un enfant « traîner » ses parents au Salon parce qu’il y était allé avec sa classe la veille ou parce qu’il voulait revoir l’auteur qui avait rendu visite à son école la semaine d’avant?
Est-ce que ça a été compliqué d’attirer les éditeurs et de les amener à participer activement à l’événement?
Tout dépend! Certains sont avec nous depuis les tout débuts, d’autres se sont greffés à nous au fil des ans. Certains ont attendu de voir qui nous étions, d’autres se sont lancés dans l’aventure rapidement. Certains comme Soulières éditeur s’impliquent depuis toujours et à un niveau organisationnel, d’autres ne sont présents qu’au Salon. Il y a autant de styles d’implications qu’il y a d’éditeurs, mais ils sont tous indispensables, croyez-moi! Les éditeurs, les auteurs, les créateurs, les illustrateurs, les distributeurs, les lecteurs, les libraires… Le monde du livre québécois doit être aussi bien représenté qu’il est varié.
Le plus difficile en fait, c’est d’attirer des gens qui ne sont pas du milieu du livre. Vous l’aurez compris, nous sommes un organisme à but non lucratif. Il est donc crucial pour la survie des activités de la Fête que tous les acteurs préoccupés par l’alphabétisation, par la culture, par l’implication citoyenne ou par l’intégration sociale comprennent qu’il faut soutenir financièrement et de façon continue des organisations telles que la Fête. Nous voulons tous vivre dans une société riche et prospère où ses citoyens seront actifs et impliqués, il faut donc trouver les moyens de prévenir des fléaux comme l’analphabétisme, le décrochage scolaire, l’isolement social ou la pauvreté culturelle.
Comment les jeunes réagissent-ils au contact des livres et des auteurs?
Les enfants n’ont pas de réserve, comme nous. Un adulte qui n’aime pas lire ou qui ne sait pas lire n’aura aucun intérêt à fréquenter un Salon du livre : c’est angoissant, un endroit plein de livres quand on ne connaît pas ça. Pourtant, il s’agit d’un lieu tellement agréable et accueillant. Les enfants le comprennent bien vite. Ils lisent un livre en classe, ils comprennent qu’il y a auteur derrière cette histoire, et hop! L’auteur devient un ami. Pourquoi se priver du plaisir de le rencontrer et de lui dire? D’échanger avec lui sur ce qu’on a lu et compris? De lui poser des questions? De lui raconter une nouvelle fin à son histoire? Les enfants sont spontanés et entiers. Ils aiment, ils n’aiment pas. Autant leur apprendre à aimer!
Comment peut-on développer le « plaisir » de lire?
Autant d’enfants, autant de manières, et malheureusement, il n’y a pas de potions magiques. Une première façon est d’offrir des livres dès la naissance; pour un bébé, un livre, c’est un jouet comme un autre et on doit le laisser jouer avec, le laisser le goûter, le tourner dans ses mains, le lancer, le reprendre. Mais très tôt, il verra que c’est un jouet qui contient des trésors cachés. On ouvre une page, et on y voit un objet bien connu : l’image d’un biberon, ou l’image d’un petit chat! Dans sa tête, l’enfant apprendra à lier l’image et l’objet réel, puis le mot, puis le concept. Un jour, ce jeu de l’esprit deviendra un jeu réel. Il faut toutefois aider l’enfant à passer à travers ces étapes, pour que les difficultés ne l’incitent pas à abandonner. Il faut être patient, respecter le rythme des enfants, leurs intérêts et leur type d’intelligence. C’est pour ces raisons que certains enfants préfèrent les bandes dessinées aux « gros romans » ou les documentaires aux livres « dont vous êtes le héros ». Chacun son livre, chacun son monde. Mais tous partagent un plaisir bien réel. Quand le plaisir de lire est bien ancré, il ne quitte jamais.
Êtes-vous une grande lectrice vous-même? À quel moment le livre est-il entré dans votre vie?
Toute une question! Le livre est certainement entré dans la maison familiale bien avant moi. En fait, je suis née dans une famille où il y a plusieurs enseignants, de nombreux lecteurs et je ne me rappelle pas d’un Noël ou d’un anniversaire sans livre; ma mère garde encore plein de mes livres d’enfance. J’ai commencé à dévorer les livres autour de 7 ou 8 ans, je crois. Je me rappelle l’odeur de la bibliothèque du petit village où nous allions passer nos vacances d‘été; j’adorais cette minuscule bibliothèque de sous-sol d’école où j’y trouvais des livres que ma bibliothèque municipale et ma bibliothèque scolaire n’avaient pas. J’ai lu Enid Blyton, Georges Chaulet et autres Alfred Hitchcock pendant de nombreuses années. Je me rappelle être souvent entrée très tard le soir en rentrant de l’école, parce que j’oubliais de vérifier le passage de mon autobus, alors qu’assise sur le banc au bord de la rue, j’étais plongée dans mon livre. Puis, au secondaire, croyez-le ou non, je m’étais donné un étrange devoir personnel : lire tous les romans dont les dictées de mes professeurs de français étaient extraites; j’ai donc lu Bessette, Camus, St-Exupéry et Anne Hébert. Et au cégep, ce fut Arts et Lettres et l’obligation (quelle cruauté!) de lire deux livres par semaine… Tout comme à l’université d’ailleurs, où j‘ai fait mon Bac en langue et littérature françaises, ma Maîtrise puis ma scolarité de doctorat en littérature française de la Renaissance (tout en travaillant dans une librairie pour payer mes études!). Aujourd’hui, je lis tout ce que je peux, dès que je le peux ou dès qu’Éric-Emmanuel Schmitt ou Jean-Jacques Pelletier sortent un nouveau livre! Mes enfants m’ont offert le dernier Schmitt pour Noël… J’étire le plaisir, je ne l’ai pas encore commencé…
Le Salon du Livre jeunesse de Longueuil a lieu cette année du 6 au 10 février 2013. Ne manquez pas ça !
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