J'ai découvert la plume de Sophie Laroche avec Le carnet de Grauku, un roman sur l'anorexie, qui m'avait beaucoup plu. Quand j'ai reçu Vivre cet automne, j'ai été ravie de la lire de nouveau, cette fois sur le thème de l'alcool au volant et des conséquences que cela peut engendrer. J'ai donc eu envie d'en apprendre un peu plus sur cette auteure qui touche les adolescents en leur parlant franchement de sujets tabous!
Qu’est-ce qui vous attire en tant qu’auteure dans la collection tabou des éditions de Mortagne?
Ce que j'aime dans la collection tabou, c'est qu'on y appelle un chat un chat ! Les éditions de mortagne n'ont pas eu peur de publier mon premier roman ado, au titre pourtant difficile : le carnet de grauku. Je vis en France, et en me rendant au salon de Montréal, j'ai pu mesurer l'impact de cette collection auprès des jeunes. J'ai fait de très jolies rencontres avec les lecteurs, et je suis fière d'appartenir à cette équipe tabou.
D’où est née l’histoire de Vivre? Pourquoi avez-vous eu envie de parler de l’alcool au volant et de ses conséquences?
En écrivant vivre, je n'ai pas voulu écrire une longue leçon de morale, mais bien expliquer comment une vie peut basculer en une soirée. Personne ne mérite de perdre la vie ou de mettre sa vie en l'air pour une soirée bien arrosée. J'ai aussi fait un choix littéraire osé, en décidant que mon héros s'adresserait pendant tout le livre à son copain mort, mais je croyais en l'émotion que cela susciterait. Là encore, les éditions de Mortagne m'ont suivie !
Est-ce que cette idée du narrateur qui s’adresse à son copain mort s’est imposée toute seule à vous?
Oui ! Comme une évidence dès que j’ai eu l’idée de l’histoire. Je me suis dit que si je vivais la même situation, je passerais mon temps à parler à ma meilleure amie.
Comment faites-vous pour vous mettre dans la tête de votre personnage principal, tant dans celle de Nathan que dans celle de Manon, héroïne du Carnet de Grauku? Utilisez-vous des témoignages de gens ayant vécu ou vivant cette réalité?
Le carnet de Grauku est une fiction, mais le personnage de Manon est largement inspiré de mon rapport à la nourriture. Je suis allée fouiller dans mes souvenirs, mon ressenti, j’ai tout disséqué… L’expérience a été douloureuse mais nécessaire; je n’ai pas réglé mes problèmes, mais je suis très heureuse que ce texte existe. Pour (v)ivre, j’ai juste imaginé…avec une fois encore cette volonté de me mettre à la place du personnage. Cela peut faire sourire, mais j’avais les larmes aux yeux en finissant le premier chapitre. Certains personnages secondaires sont inspirés de personnes ayant vécu ce drame; ainsi, Annick, la maman de Félix, est en réalité une très bonne amie de ma mère qui a perdu son fils dans des circonstances semblables. Je n’ai pas pour l’instant recueilli de témoignages extérieurs, je le ferai pour le livre que j’envisage d’écrire pour la collection Tabou sur le thème de la grossesse voulue chez les ados. Ce serait catastrophique de projeter mon expérience de mère adulte sur le personnage juvénile de ce roman.
Aviez-vous un public en tête au moment d’écrire ce roman?
En écrivant, je pensais à mon fils, qui a 16 ans bientôt, à ma nièce Pauline, à leurs amis. J'espère que les jeunes qui liront ce livre auront cet éclair de lucidité même s'ils ont trop bu. Ils penseront à mon livre et se diront non, je ne conduis pas, je ne monte pas dans cette voiture.
Est-ce que votre fils a lu votre roman? Quels ont été ses commentaires? Avez-vous modifié des choses suite à ces commentaires ?
Non, mon fils n’a pas lu ce livre. Il n’aime pas lire les manuscrits, et n’a eu le livre imprimé que récemment ! Il m’arrive de le consulter, mais ça n’a pas été le cas cette fois. Il n’avait que 13 ans quand j’ai commencé le livre, il était encore loin de ces problématiques.
Était-ce important pour vous de parler aussi d’Éduc alcool dans ce roman et de donner des pistes de solutions aux jeunes vivant ce genre de drame?
Il était fondamental pour moi de donner aux jeunes une ouverture, avec éducation alcool, avec les amis, la famille. Je ne laisserai jamais un jeune dans le désarroi dans un roman pour cette tranche d'âge. Une éditrice m'a dit un jour, on peut aborder tous les thèmes en littérature jeunesse, y compris les plus difficiles, mais il faut toujours ouvrir une porte à la fin.
Vous avez aussi abordé un autre thème assez sur, soit l’anorexie, dans Le carnet de Grauku. Qu’est-ce qui vous a poussé à parler de cette maladie?
Grauku n’est pas un livre sur l’anorexie. Elle ne touche qu’un personnage secondaire. Je ne me permettrai pas d’écrire un roman sur l’anorexie, car je ne sais pas ce que c’est. Une de mes proches en souffre, même si je suis très liée à elle, je suis encore souvent étonnée de la portée et de la force de cette maladie. Le carnet de Grauku a été un cri de colère et de désespoir, le mien, face à ce combat contre la nourriture et le regard des autres. J’ai écrit le premier chapitre avec frénésie ! Puis j’ai construit mon récit pour amener mon héroïne à ce que je rêve de connaître un jour : une relation apaisée à la nourriture. J’y travaille encore.
Y a-t-il des moments où vous vous censurez? Est-ce que cette porte ouverte à la fin vient toujours naturellement ou parfois devez-vous la forcer?
Non, je ne me censure pas. Je me suis battue pour que Grauku porte ce titre là par exemple. Mais il est dans ma nature aussi de chercher le coin de ciel bleu. Dans Grauku, il y a une vraie porte ouverte, même si les problèmes demeurent. Pour (v)ivre, j’ai échangé avec ma directrice éditoriale chez Mortagne, Carolyn Bergeron, pour décider quelle direction je voulais donner à mon texte. Mon héros a ouvert une porte, la plus salvatrice sans doute, mais pas la plus facile non plus !
Avez-vous eu peur d’être parfois un peu moralisatrice? Comment évite-t-on de l’être dans un roman comme ceux que vous écrivez?
Pour moi, Grauku n’est pas un livre moralisateur, c’est un coup de poing. Quant à (v)ivre, oui, je veux qu’il « colle les poils » comme on dit chez nous, aux jeunes qui le liront. J’écris parce que j’aime ça, parce que j’en ai besoin, mais si un soir, un seul jeune en état d’ivresse, refuse de prendre le volant ou de monter en voiture avec un conducteur ivre parce qu’il aura une pensée pour mon livre, j’en serai ravie ! Si faire la morale, c’est protéger nos enfants, cela ne me pose aucun problème. D’autant plus que j’essaie toujours avec la plus grande honnêteté de me mettre à leur place. Je prépare deux autres tabous, l’un sur la grossesse, l’autre sur le secret de famille. Dans ces deux sujets, il serait très déplacé de donner des leçons.
Pourquoi écrivez-vous pour les adolescents?
Les adolescents me touchent. J’aime aussi leur sincérité. Ils aiment ou pas, et se fichent de ce que la profession pensent de votre texte. Je crois que je retrouve aussi avec plaisir l’ado que j’ai été… il m’arrive même de régler des comptes ! Je crois enfin que les ados sont capables de comprendre et de percevoir beaucoup de choses, si on prend la peine de s’intéresser à eux.
Vous vivez en France mais vous êtes éditée au Québec. Comment se vit cette « relation longue distance »?
C’est à la fois délicieux et frustrant ! J’ai noué des liens très forts avec l’équipe de Mortagne, nous communiquons par email, et cela pousse parfois à plus de confidences. Je peux dire qu’une réelle amitié me lie à certaines. Cela me donne aussi une impression de voyager, mes personnages vont là où je ne suis jamais allée. Bien entendu, je passe aussi à coté de beaucoup de choses. J’ai mesuré en venant au Salon de Montréal cette année la force de la collection tabou, son impact auprès des jeunes. C’était fantastique. Mais je suis aussi publiée en France ! Heureusement, car je vais régulièrement à la rencontre de mes lecteurs dans les écoles. J’adorerais le faire au Quebec avec mes titres chez Tabou !
Vos récits semblent se situer surtout au Québec. Pourquoi ce choix?
C’est une décision éditoriale à laquelle je me plie de bon cœur. Même si j’aimerais parfois faire des textes « chez moi » ! D’ailleurs, Grauku est d’ailleurs sorti en premier en France avec des allusions à des villes françaises.
Rafale lecture!
Enfant, étiez-vous une grande lectrice?
OUI !!!!!! mais pas de livres pour enfants, il y en avait trop peu, et je détestais tous les livres trop lisses comme le Club des cinq.
Qui vous a donné le goût de lire?
Mon père !!!! C’est d’ailleurs pour cela que j’ai pris mon nom de jeune fille comme nom d’auteur. Il m’a toujours nourrie de livres, sachant répondre à mes centres d’intérêt.
Êtes-vous aujourd’hui une grande lectrice?
Oui, je le suis encore; je lis essentiellement des romans.
Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres?
Ils font partie de ma vie. J’aime la force des mots, ce plaisir d’une phrase bien tournée, d’un roman bien construit. Cela ne veut pas dire forcément savant, loin de là. J’aime les objets aussi. J’aime les livres de poche, qui vivent. Juste derrière moi, j’ai une bibliothèque avec un rayon réservé à mes indispensables.
Quel est votre livre préféré?
Le rapport de Brodeck, de Philippe Claudel. Ce monsieur est pour moi un grand écrivain, et il a su rester simple et disponible. Respect !
Quel roman a marqué votre adolescence?
The Oustiders, de S.E Hilton
Quel est le livre sur votre table de chevet?
Le dernier Claudel : Parfums. Un livre de souvenirs d’enfance d’une finesse jouissive !
Dans quel endroit préférez-vous lire?
Peu importe, partout ! Lire rend chaque endroit supportable, y compris le métro parisien pendant les heures de pointe.
Si vous étiez un livre, lequel seriez-vous?
Le carnet de Grauku… parce que je le suis déjà ;) ou un personnage de John Irving, parce qu’ils ne sont jamais parfaits mais si humains.
Avez-vous des suggestions de lecture pour ceux qui ont aimé vos romans?
Lisez Marie-Aude Murail : Simple ou Oh Boy ! et Quatre sœurs de Malika Ferdjoukh est un de mes romans jeunesse préférés; la plume est superbe, fine et accessible, l’histoire drôle et touchante, tout ce que j’aime !
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chouette, un portrait de Sophie!! non seulement elle écrit super bien, mais en plus elle est très attachante, et c'est un plaisir de la connaître!